20 mai 2025 – Bordeaux
Si vous deviez vous résumer en cinq dates ?
1999 : J’ai 22 ans et je pars faire le tour du monde. À ce moment-là, je suis en stage chez Louis Vuitton, auprès de Marc Jacobs. Ils me proposent un poste à l’issue de mon année de césure, mais je décline : ce voyage, je tiens à le faire. Je pars finalement pour six mois, en remplaçant mon deuxième stage par cette expérience unique.
2006 : Je suis mariée depuis un an. Mon mari, médecin, a l’opportunité de partir faire son internat à Tahiti. C’était un projet que j’avais moi-même encouragé. De mon côté, je suis en poste dans le job de mes rêves, acheteuse couture. Le jour où il reçoit l’appel confirmant son affectation, je suis au défilé Jean Paul Gaultier. Je démissionne dans la foulée. Quelques semaines plus tard, nous partons.
2008–2013 : La naissance de mes enfants (ça compte pour une date, non ?)
- 2008 : Naissance de mon fils Louis — nous vivons alors à Marseille.
- 2010 : Nous partons en Guadeloupe, où naît ma fille Nina. Nous devions y rester deux ans, nous y passerons finalement sept ans.
- 2013 : Naissance de mon troisième enfant, Henri, et création de Filentropique.
2017 : Nous nous installons à Bordeaux. Mon mari reprend un cabinet médical dans le Médoc.
2024 : Reprise des grands voyages, cette fois avec nos enfants. Nous partons trois mois en Asie — Japon, Malaisie, Indonésie… une nouvelle aventure familiale.
Vous avez fait votre première partie de carrière dans la mode?
J’ai fait une école de commerce, mais ma passion, c’était la mode. J’ai enchaîné plusieurs expériences chez de grandes maisons comme Cacharel ou Louis Vuitton, mais mon rêve, c’était de devenir acheteuse. En 2000, j’ai intégré l’Institut Français de la Mode. Je partageais mon 12m² à Montmartre avec une américaine puis une brésilienne pour m’aider à financer cette formation et à l’issue de l’école, j’ai décroché ce que je considérais comme le Graal : un poste d’acheteuse au Rayon Couture (Chez Franck et Fils, le grand magasin du 16e arrondissement de Paris).
Le rythme était fou : les défilés s’enchaînaient, les journées étaient interminables, et je côtoyais des personnalités dignes du Diable s’habille en Prada. C’était intense, exigeant… mais j’adorais ça. Cela dit, ce n’était pas exactement « la vraie vie ».
J’étais en couple, mon mari faisait des études de médecine, et dès que l’on pouvait, on partait en voyage. J’avais aussi, en toile de fond, le désir de fonder une famille et de voir le monde autrement.
C’est moi qui ai poussé mon mari à envisager une expatriation. Lorsqu’il a eu l’opportunité de faire son internat à Tahiti, il m’a appelée alors que j’assistais à un défilé de Jean Paul Gaultier. J’ai littéralement bondi de joie.
J’ai démissionné quelques heures plus tard, sur un coup de tête.
Je crois que j’ai regretté cette décision à intervalles réguliers pendant vingt ans. Même si je ne changerais rien à ma vie, il m’arrive encore d’éprouver une certaine nostalgie — peut-être un peu irrationnelle — de cette vie d’avant.
Vous regrettez d’avoir renoncé à votre carrière dans la mode?
Oui… et non. Cela dépend des jours. Quand je prends du recul, la réponse est non. Ce qui compte pour moi, ce sont mes enfants, mon mari, ma famille, les voyages, les expériences de vie. Cet équilibre-là, je sais que je ne l’aurais jamais trouvé en continuant sur la voie que j’avais prise à l’époque.
Mais oui, parfois, je ressens une forme de regret. Quand on suit les opportunités d’expatriation liées à la carrière de son conjoint — même si j’ai toujours été à l’origine de ces envies de départs — on se retrouve parfois, socialement, renvoyée à une image un peu réductrice : celle de la « femme de médecin ». Et je n’aime pas cette étiquette.
Dans ces moments-là, je pense à ma carrière et à cette vie d’avant avec un peu de nostalgie. Mais ça ne dure jamais très longtemps.
Et la vie à Tahiti, alors?
Nous étions jeunes, sans enfants. Il y avait l’excitation du départ — « yeah, on part à Tahiti ! » — et puis, très vite, la réalité : j’avais quitté mon job, mon mari travaillait toute la journée, je ne connaissais personne… Les premières semaines ont été un peu dures, un petit coup de blues.
Mais je me suis vite reprise. J’ai trouvé un poste très sympa sur place, au Sofitel de Papeete, et la vie a repris un rythme plus équilibré. Nous devions y rester plusieurs années, mais au bout d’un an à peine, mon mari a dû rentrer en métropole : les hôpitaux manquaient cruellement de personnel. Ça a été une vraie déception.

Ensuite tu pars quelques années en Guadeloupe?
Oui, en 2010. Mon fils a deux ans, nous vivons à Marseille, et je suis enceinte de ma fille, qui naîtra là-bas. Cette fois, j’assume pleinement de ne pas travailler, de profiter de cette parenthèse pour m’occuper des enfants et vivre pleinement l’expérience de l’expatriation.
Nous devions rester deux ou trois ans… finalement, on y passe sept ans ! C’est là que je crée Filentropique : une façon d’allier mon expérience dans la mode, mon goût pour la décoration, et ce besoin de créer, de m’exprimer. Je lance une ligne de coussins, je deviens distributrice exclusive d’un drap de plage mexicain (Las Bayadas)… Je développe ce concept pendant quatre ans, avant qu’il soit temps, là encore, de rentrer en métropole.
Comment êtes-vous arrivés à Bordeaux?
Il était temps pour nous de rentrer, de revenir à une vie plus citadine. Une opportunité s’est présentée : un cabinet médical à reprendre dans le Médoc pour mon mari. Nous n’avions pas d’attaches particulières à Bordeaux, mais c’est une ville qui nous attirait. J’avais aimé vivre à Marseille, notamment pour la proximité avec la mer, mais j’avais envie d’océan Atlantique cette fois.
En arrivant, j’ai repris le concept de Maison Filentropique, tout en suivant une formation en décoration d’intérieur.
Le style dans mes propositions en décoration d’intérieur était très influencé par mes années dans les îles : un mélange de matières naturelles, de végétal et d’inspirations exotiques. J’ai cependant ressenti une certaine fermeture dans l’ambiance bordelaise. Bordeaux reste une ville très classique, parfois un peu figée.
J’avais besoin de renouer avec la nature, avec le voyage, c’est ce qui m’a poussée à créer Le Végétal par MFT.
Quel est le concept de « Le Végétal » par MFT?
Le Végétal est un concept unique que j’ai développé pour reconnecter les intérieurs avec la nature. Il s’agit de plantes vivantes et autonomes, qui poussent dans des vases à l’aide d’un sérum nutritif. Elles demandent très peu d’entretien : il suffit d’ajouter un peu d’eau au fur et à mesure de son évaporation.
Mon expérience en décoration d’intérieur m’a permis d’identifier un besoin fort de végétal dans les espaces de vie — mais aussi une vraie réticence à entretenir des plantes classiques en terre. C’est pour répondre à cette problématique que j’ai créé cette collection.
Aujourd’hui, je propose deux offres complémentaires :
• Pour les particuliers, une collection de plantes vivantes, dont les prix s’échelonnent de 25€ à 95 €, disponibles à la commande.
• Pour les professionnels, en y ajoutant le service, « Le Studio » par MFT, des aménagements végétaux pour les espaces de travail ou les lieux publics, avec une touche artistique : j’y intègre des expositions de photographies inspirées de mes voyages.

Justement, parlez-nous de cette exposition photo sur le peuple Mentawai?
Lors d’un voyage de trois mois en Asie avec nos enfants — Japon, Indonésie, Sumatra — nous avons rencontré un jeune guide dont la femme est Mentawai.
Il nous a proposé de rendre visite à la famille de sa femme. L’accès est complexe : 10h de bateau, 2h de bétaillère, 2h de marche dans la jungle… Mais nous avons décidé d’y aller, tous ensemble. Mon mari est médecin urgentiste, ça nous a sans doute rassurés pour embarquer les enfants dans cette aventure.
J’avais surtout envie de leur transmettre ce goût de la découverte, cette curiosité que j’avais moi-même éprouvée lors de mon tour du monde à 20 ans.
Ce peuple autochtone vit de façon totalement autonome sur une île reculée au large de la côte ouest de Sumatra. On les appelle aussi les « hommes-fleurs ».
Vous avez tiré de ce voyage des portraits d’hommes et de femmes très forts. Comment se sont passées ces rencontres?
Leur monde est fragile, menacé par la déforestation et la pression d’un modèle de société qui tente encore de les assimiler. Le gouvernement indonésien a longtemps voulu les faire rentrer dans le moule — les habiller, les sédentariser, leur imposer l’école — avant de comprendre qu’il y avait là une richesse culturelle à préserver, sans doute aussi sous la pression médiatique et internationale. Mais aujourd’hui, seuls quelques centaines de Mentawai vivent encore de manière traditionnelle.
Nous avons passé plusieurs jours auprès d’eux, au rythme de la forêt. Ce qui m’a frappée, c’est leur dignité, leur calme, leur intensité dans la relation. La transmission de leur culture repose entièrement sur la parole, les gestes, les rituels — en particulier ceux des Sikerei, les chamans.
Leur rôle est essentiel, mais leur nombre diminue.
J’ai voulu capturer dans mes portraits cette énergie silencieuse, cette beauté brute. Ce sont des visages habités, des regards ancrés dans un autre rapport au monde. Ils racontent un peuple, mais aussi un équilibre précieux entre l’homme et la nature.
