La boss des pianos du conservatoire

Claire Mathieu

Claire Mathieu

Responsable du parc instrumental du Conservatoire de Bordeaux

Claire Mathieu est responsable du parc instrumental du Conservatoire de Bordeaux. Je la rencontre dans son vaste bureau situé au premier étage du Conservatoire. D’emblée, elle s’excuse pour le désordre qui règne dans la pièce, laquelle offre une vue imprenable sur la Garonne. Ici s’entassent des cartons de carillon ou de tambours, des housses d’instruments, un piano électrique en attente de réparation et d’autres témoins d’une activité débordante. Claire m’accueille et je n’ai alors qu’une idée très vague de la nature exacte de son métier. Une rencontre assez unique, avec une jeune femme discrète et passionnée.

3 février 2025 – Bordeaux

Si vous deviez vous résumer en cinq dates ?

• 1984 : un souvenir marquant : le grand piano Steinway noir de ma tante, professeur de musique. Cet objet précieux, un peu magique, était toujours fermé à clef, brillant, sans aucune trace de doigt. Il n’était réservé qu’à ses élèves les plus brillants.

• 1er juillet 2010 : Mon arrivée à Bordeaux. Venue des Deux-Sèvres, cette installation a été un véritable choc. J’avais découvert la ville lors d’un court séjour en 2004 pour une formation, et j’étais tombée sous le charme, notamment du jardin botanique et de la place Pey-Berland.

• 2011 : Mes trente ans. J’ai eu le sentiment de commencer véritablement ma vie à cet âge, de mieux me connaître et de savoir ce que je voulais. Ce fut pour moi le début de quelque chose.

• 6 novembre 2022 : Ma prise de poste au Conservatoire.

• 13 mai 2024 : Un voyage au Japon qui a été une vraie ouverture pour moi.

Quel est exactement le rôle de la responsable du parc instrumental du Conservatoire de Bordeaux ?

Cela implique une coordination constante avec divers services : l’accueil qui s’occupe des déplacements et qui a un rôle d’interface avec tous les usagers du Conservatoire, les finances, la bibliothèque pour les prêts, l’action culturelle (notamment pour les concerts ou événements extérieurs), ainsi que les professeurs, les élèves, leurs familles et les services techniques.
Les instruments sont au cœur du Conservatoire. (Je dirais que le cœur, ce sont les élèves)

Ce type de poste existe-t-il dans tous les conservatoires de France ?

Ce poste est relativement récent au Conservatoire de Bordeaux : il a été créé à mon arrivée il y a deux ans. J’ai eu des contacts avec quelques homologues, mais je ne connais pas encore tous les responsables des autres conservatoires. Ce rôle varie selon les établissements. Certains se concentrent uniquement sur les prêts ; d’autres, dotés d’un profil de luthier, sont spécialisés dans la réparation ; d’autres encore ne s’occupent que des achats.

A quoi ressemble une journée type ?

En été, lorsque l’activité est plus calme, je me consacre au recensement des instruments. Dès mon arrivée, j’ai commencé par les pianos : inspecter chaque salle, photographier les instruments, relever leur numéro de série, ajouter une étiquette d’identification, et saisir toutes ces informations dans le logiciel de gestion. Il faut également retrouver les factures d’achat, d’entretien, et de maintenance. L’année suivante, j’ai appliqué ce processus aux départements jazz musiques actuelles et créations. Cet été, j’espère m’atteler aux percussions.
Le reste de l’année, mon travail est plus varié : je coordonne la maintenance des instruments, recueille les besoins d’achat en matériel neuf pour les discuter avec la direction, et organise certains déplacements des instruments en collaboration avec les différentes équipes, notamment pendant les périodes d’intense activité comme les festivités de décembre, la Nuit des Conservatoires en Janvier ou encore les examens de fin d’année scolaire.
Enfin j’aide à la gestion des prêts en lien avec les élèves et la bibliothèque, en juin et septembre.

Qu’est-ce qui vous a conduite à ce poste ?

U1962824978 Can You Create An Image Of A Woman Barely Visible Ca5d69e7 9826 4b12 8a38 60fb69249ae8 0

Mes parents jouaient également de la musique, et j’ai commencé à apprendre le piano très jeune. J’aurais aimé faire carrière dans ce domaine, mais je me suis finalement orientée vers des études scientifiques, d’abord en biologie, puis dans l’environnement, l’hygiène et la sécurité.
J’ai travaillé pendant 12 ans dans une grande collectivité, où je gérais des équipements. En tant que fonctionnaire territoriale, je souhaitais un changement de carrière qui me permette de retrouver du sens et du lien avec le public. Lorsque j’ai vu l’annonce pour ce poste, j’ai constaté qu’il s’agissait d’un véritable « mouton à cinq pattes » : le profil recherché était celui d’un gestionnaire ayant des connaissances dans tous les instruments, ainsi que des compétences en accordage et en maintenance, entre autres. Je ne correspondais pas parfaitement au profil, mais j’ai décidé de tenter ma chance.
Ce qui me plaît dans ce poste, c’est l’équilibre entre autonomie et travail collaboratif avec différentes équipes. J’apprécie aussi le fait de mener des projets transversaux tout en restant connectée à des tâches concrètes et opérationnelles.

Quelle est la taille du parc instrumental du Conservatoire de Bordeaux?

À ce jour, le recensement – encore loin d’être complet – dénombre 474 instruments disponibles pour le prêt, et environ 700 autres conservés au sein du Conservatoire, dont une centaine de pianos acoustiques. À cela s’ajoute tout le petit matériel et les accessoires.
Il reste encore un important travail d’inventaire à effectuer, notamment pour les percussions.
En termes de maintenance, l’année dernière, nous avons réalisé 266 révisions ou réparations d’instruments, dont 129 interventions sur des pianos.

A qui le Conservatoire prête-t-il ses instruments ?

Le prêt d’instruments est extrêmement avantageux pour les familles : pour 84 € par an, elles peuvent bénéficier d’un instrument, en prenant en charge également son assurance. L’entretien est pris en charge par le Conservatoire, ce qui contribue à démocratiser et développer la pratique musicale dans la ville.
Par ailleurs, nous avons un programme d’initiation à l’orchestre hors les murs, en partenariat avec des associations ou des centres d’animation dans différents quartiers de Bordeaux. Ce projet, baptisé Apprentissages par l’Orchestre (AOC), implique des groupes de 20 enfants. Actuellement, trois de ces initiatives sont en cours, ce qui mobilise déjà 60 instruments pour ces élèves.

U1962824978 Could You Draw An Orchestra In The Street With Ki 9c09bceb 8940 429a 98a0 8368dab81212 3

Existent-ils des enjeux spécifiques liés au stockage, ou au transport de certains instruments ?

Chaque instrument a ses particularités en matière de stockage, d’entretien et de transport.
Les pianos, par exemple, bougent peu, tandis que d’autres instruments sont régulièrement déplacés, que ce soit au sein du Conservatoire, dans la salle de spectacle, ou pour des concerts extérieurs. Certains sont particulièrement fragiles ou encombrants, comme les harpes, les clavecins ou les contrebasses. Heureusement, les professeurs et les équipes chargées du transport sont très impliqués et veillent à garantir de bonnes conditions de déplacement pour ces instruments.
Le Conservatoire investit également dans du matériel adapté : housses, flight cases, et chariots spécifiques à chaque instrument.


Pour les instruments prêtés, les professeurs donnent en début d’année des conseils d’entretien aux élèves : graissage des pistons pour les cuivres, nettoyage des bois, dépoussiérage des cordes, etc.
Nous travaillons également avec des luthiers de la région pour l’entretien régulier du parc instrumental, que ce soit après un accident ou dans le cadre d’une révision courante. Par exemple, les instruments à cordes sont vérifiés chaque année, tandis que les cuivres et bois bénéficient d’une maintenance tous les trois ans environ.

Existe-t-il des instruments particuliers au Conservatoire nécessitant des soins ou des besoins spéciaux ?

Le Conservatoire dispose d’une belle collection d’instruments anciens, souvent pris en charge par les professeurs, qui maîtrisent leurs spécificités. Je précise « instruments anciens » et non pas musique ancienne, comme tiennent souvent à nous le rappeler les professeurs !
Nous prêtons également des instruments imposants, comme les timbales, les marimbas ou les grosses caisses symphoniques, à des associations pour des concerts ou des événements. Le transport de ces instruments est parfois complexe en raison de leur taille et de leur fragilité.

Nous avons la chance de bénéficier du soutien du Fonds de dotation CIR, un mécène qui accompagne le Conservatoire depuis de nombreuses années. Grâce à ce partenariat, nous pouvons disposer d’un piano Steinway modèle C d’une grande qualité destiné aux élèves des cursus supérieurs. Le CIR prend également en charge l’entretien et l’assurance de cet instrument, et bien heureusement car il doit coûter le prix de mon appartement !
En complément, le Fonds nous prête deux quatuors à cordes (chacun composé de deux violons, un alto et un violoncelle), ainsi que deux violons et un alto supplémentaire, enrichissant ainsi notre parc instrumental.

les recos d'Atypical

ses rubriques atypiques

007 in Bordeaux

Le bâtiment du Conservatoire a beaucoup de charme, et il présente un côté labyrinthique qui lui confère une atmosphère particulière. J’ai un faible pour « l’astrodôme », ce puits de lumière au premier étage, qui rappelle la surface de la lune. J’imagine assez bien une course-poursuite sur le toit, avec vue sur l’Eglise Sainte-Croix et les quais, suivie d’une descente en rappel via ce dôme. Je pense également à un autre bâtiment bordelais, la base sous-marine, qui de l’extérieur comme de l’intérieur serait parfaitement adapté à un film d’action.

Bordeaux en 2050

Il y a beaucoup de projets d’aménagements en cours, ou en train de se terminer, comme de nouveaux quartiers, mais aussi Canopia, en encore le « verdissement » de certains endroits. Mon rêve serait d’avoir des déplacements apaisés.

Missing in Bordeaux

Aménager une des îles de la Garonne peut-être

C’était mieux avant ….ou pas

Je suis arrivée en juillet 2010. Bordeaux est une ville qui change tellement vite, il est difficile de répondre à cette question.

AUTRES ARTICLES

Andréa La Fiancée de la Lune

Jean-Stéphane Cantero

ABONNEZ-VOUS AU MAGAZINE ATYPICAL