3 février 2025 – Bordeaux
Si vous deviez vous résumer en cinq dates ?
• 1984 : un souvenir marquant : le grand piano Steinway noir de ma tante, professeur de musique. Cet objet précieux, un peu magique, était toujours fermé à clef, brillant, sans aucune trace de doigt. Il n’était réservé qu’à ses élèves les plus brillants.
• 1er juillet 2010 : Mon arrivée à Bordeaux. Venue des Deux-Sèvres, cette installation a été un véritable choc. J’avais découvert la ville lors d’un court séjour en 2004 pour une formation, et j’étais tombée sous le charme, notamment du jardin botanique et de la place Pey-Berland.
• 2011 : Mes trente ans. J’ai eu le sentiment de commencer véritablement ma vie à cet âge, de mieux me connaître et de savoir ce que je voulais. Ce fut pour moi le début de quelque chose.
• 6 novembre 2022 : Ma prise de poste au Conservatoire.
• 13 mai 2024 : Un voyage au Japon qui a été une vraie ouverture pour moi.
Quel est exactement le rôle de la responsable du parc instrumental du Conservatoire de Bordeaux ?
Mon rôle consiste à gérer les instruments de musique tout au long de leur cycle de vie : leur recensement, leur achat, leur maintenance, leur prêt, leur revente ou leur don.
Cela implique une coordination constante avec divers services : l’accueil qui s’occupe des déplacements et qui a un rôle d’interface avec tous les usagers du Conservatoire, les finances, la bibliothèque pour les prêts, l’action culturelle (notamment pour les concerts ou événements extérieurs), ainsi que les professeurs, les élèves, leurs familles et les services techniques.
Les instruments sont au cœur du Conservatoire. (Je dirais que le cœur, ce sont les élèves)
Ce type de poste existe-t-il dans tous les conservatoires de France ?
Ce poste est relativement récent au Conservatoire de Bordeaux : il a été créé à mon arrivée il y a deux ans. J’ai eu des contacts avec quelques homologues, mais je ne connais pas encore tous les responsables des autres conservatoires. Ce rôle varie selon les établissements. Certains se concentrent uniquement sur les prêts ; d’autres, dotés d’un profil de luthier, sont spécialisés dans la réparation ; d’autres encore ne s’occupent que des achats.
À Bordeaux, ce poste a été conçu pour offrir une vision d’ensemble cohérente des besoins et des problématiques liés aux instruments. Cela permet d’optimiser leur maintenance, de prioriser les achats, de suivre les prêts de manière rigoureuse, et de mieux organiser les ressources techniques, notamment pour les déplacements des instruments.
A quoi ressemble une journée type ?
En été, lorsque l’activité est plus calme, je me consacre au recensement des instruments. Dès mon arrivée, j’ai commencé par les pianos : inspecter chaque salle, photographier les instruments, relever leur numéro de série, ajouter une étiquette d’identification, et saisir toutes ces informations dans le logiciel de gestion. Il faut également retrouver les factures d’achat, d’entretien, et de maintenance. L’année suivante, j’ai appliqué ce processus aux départements jazz musiques actuelles et créations. Cet été, j’espère m’atteler aux percussions.
Le reste de l’année, mon travail est plus varié : je coordonne la maintenance des instruments, recueille les besoins d’achat en matériel neuf pour les discuter avec la direction, et organise certains déplacements des instruments en collaboration avec les différentes équipes, notamment pendant les périodes d’intense activité comme les festivités de décembre, la Nuit des Conservatoires en Janvier ou encore les examens de fin d’année scolaire.
Enfin j’aide à la gestion des prêts en lien avec les élèves et la bibliothèque, en juin et septembre.
Qu’est-ce qui vous a conduite à ce poste ?
J’ai grandi dans un environnement où la musique occupait une place importante. Ma tante, professeure de piano et chanteuse lyrique, possédait un piano Steinway qui me fascinait lorsque j’étais enfant.

Mes parents jouaient également de la musique, et j’ai commencé à apprendre le piano très jeune. J’aurais aimé faire carrière dans ce domaine, mais je me suis finalement orientée vers des études scientifiques, d’abord en biologie, puis dans l’environnement, l’hygiène et la sécurité.
J’ai travaillé pendant 12 ans dans une grande collectivité, où je gérais des équipements. En tant que fonctionnaire territoriale, je souhaitais un changement de carrière qui me permette de retrouver du sens et du lien avec le public. Lorsque j’ai vu l’annonce pour ce poste, j’ai constaté qu’il s’agissait d’un véritable « mouton à cinq pattes » : le profil recherché était celui d’un gestionnaire ayant des connaissances dans tous les instruments, ainsi que des compétences en accordage et en maintenance, entre autres. Je ne correspondais pas parfaitement au profil, mais j’ai décidé de tenter ma chance.
Ce qui me plaît dans ce poste, c’est l’équilibre entre autonomie et travail collaboratif avec différentes équipes. J’apprécie aussi le fait de mener des projets transversaux tout en restant connectée à des tâches concrètes et opérationnelles.
Quelle est la taille du parc instrumental du Conservatoire de Bordeaux?
À ce jour, le recensement – encore loin d’être complet – dénombre 474 instruments disponibles pour le prêt, et environ 700 autres conservés au sein du Conservatoire, dont une centaine de pianos acoustiques. À cela s’ajoute tout le petit matériel et les accessoires.
Il reste encore un important travail d’inventaire à effectuer, notamment pour les percussions.
En termes de maintenance, l’année dernière, nous avons réalisé 266 révisions ou réparations d’instruments, dont 129 interventions sur des pianos.
A qui le Conservatoire prête-t-il ses instruments ?
Principalement aux élèves. Nous avons une politique d’encouragement à la pratique musicale, et les instruments de prêt sont en priorité destinés aux débutants qui souhaitent tester un instrument avant de se lancer dans un achat. Ces prêts durent généralement trois ans.
Le prêt d’instruments est extrêmement avantageux pour les familles : pour 84 € par an, elles peuvent bénéficier d’un instrument, en prenant en charge également son assurance. L’entretien est pris en charge par le Conservatoire, ce qui contribue à démocratiser et développer la pratique musicale dans la ville.
Par ailleurs, nous avons un programme d’initiation à l’orchestre hors les murs, en partenariat avec des associations ou des centres d’animation dans différents quartiers de Bordeaux. Ce projet, baptisé Apprentissages par l’Orchestre (AOC), implique des groupes de 20 enfants. Actuellement, trois de ces initiatives sont en cours, ce qui mobilise déjà 60 instruments pour ces élèves.

Existent-ils des enjeux spécifiques liés au stockage, ou au transport de certains instruments ?
Chaque instrument a ses particularités en matière de stockage, d’entretien et de transport.
Les pianos, par exemple, bougent peu, tandis que d’autres instruments sont régulièrement déplacés, que ce soit au sein du Conservatoire, dans la salle de spectacle, ou pour des concerts extérieurs. Certains sont particulièrement fragiles ou encombrants, comme les harpes, les clavecins ou les contrebasses. Heureusement, les professeurs et les équipes chargées du transport sont très impliqués et veillent à garantir de bonnes conditions de déplacement pour ces instruments.
Le Conservatoire investit également dans du matériel adapté : housses, flight cases, et chariots spécifiques à chaque instrument.
En ce qui concerne le stockage, le projet de réhabilitation thermique du bâtiment représente une avancée essentielle. Une hygrométrie stable, par exemple, est cruciale pour la conservation des pianos, sensibles aux variations d’humidité et de température. Ces fluctuations peuvent entraîner un désaccordage rapide, voire des dommages à long terme.
Pour les instruments prêtés, les professeurs donnent en début d’année des conseils d’entretien aux élèves : graissage des pistons pour les cuivres, nettoyage des bois, dépoussiérage des cordes, etc.
Nous travaillons également avec des luthiers de la région pour l’entretien régulier du parc instrumental, que ce soit après un accident ou dans le cadre d’une révision courante. Par exemple, les instruments à cordes sont vérifiés chaque année, tandis que les cuivres et bois bénéficient d’une maintenance tous les trois ans environ.
Existe-t-il des instruments particuliers au Conservatoire nécessitant des soins ou des besoins spéciaux ?
Le Conservatoire dispose d’une belle collection d’instruments anciens, souvent pris en charge par les professeurs, qui maîtrisent leurs spécificités. Je précise « instruments anciens » et non pas musique ancienne, comme tiennent souvent à nous le rappeler les professeurs !
Nous prêtons également des instruments imposants, comme les timbales, les marimbas ou les grosses caisses symphoniques, à des associations pour des concerts ou des événements. Le transport de ces instruments est parfois complexe en raison de leur taille et de leur fragilité.
Par ailleurs, nous possédons des instruments plus rares, comme une contrebasse baroque à cinq cordes, des cloches tubulaires ou encore un glockenspiel valise.
Nous avons la chance de bénéficier du soutien du Fonds de dotation CIR, un mécène qui accompagne le Conservatoire depuis de nombreuses années. Grâce à ce partenariat, nous pouvons disposer d’un piano Steinway modèle C d’une grande qualité destiné aux élèves des cursus supérieurs. Le CIR prend également en charge l’entretien et l’assurance de cet instrument, et bien heureusement car il doit coûter le prix de mon appartement !
En complément, le Fonds nous prête deux quatuors à cordes (chacun composé de deux violons, un alto et un violoncelle), ainsi que deux violons et un alto supplémentaire, enrichissant ainsi notre parc instrumental.