L’auteur de BD

Guillaume Trouillard

Guillaume trouillard lauréat résidence bd

Guillaume Trouillard

Dessinateur de BD et Directeur/fondateur des éditions de la Cerise - Crédits Photo: Frédéric Kristiansson

Guillaume Trouillard est auteur-dessinateur de bande dessinée et directeur des Éditions de la Cerise, une maison d’édition renommée basée à Bordeaux. Auteur reconnu, il a été lauréat de la résidence de bande dessinée à la Villa Médicis à Rome en 2021. « Ça vous permettra d’être immergée dans mon univers », me dit-il en me donnant rendez-vous en décembre, dans son atelier du centre de Bordeaux. Il fait très froid, mais un petit chauffage d’appoint réchauffe son bureau. Autour de nous, de grandes tables sont recouvertes de dessins, de crayons, de pots de peinture. Il y en a partout. Guillaume me libère un petit espace pour m’asseoir et prendre des notes. Je m’attendais, sans trop savoir pourquoi, à rencontrer un artiste torturé et timide. Mais au fil de notre échange, Guillaume Trouillard m’accorde plus de deux heures de son temps. Il se raconte. Je découvre un artiste passionné, un conteur d’histoires à travers le dessin, mais aussi un homme capable de partager son parcours, ses convictions et ses tourments. Une plongée en apnée dans le monde de la création artistique.

9 décembre 2024 – Bordeaux

Si vous deviez vous résumer en cinq dates ?

• 1980 – Naissance à Pau

• 1998 – Entrée aux Beaux-Arts d’Angoulême

« J’attendais ce moment depuis des années. Enfin, je pouvais me consacrer à ce qui me passionnait. Aux Beaux-Arts, j’ai aussi découvert une émulation incroyable avec des amis partageant les mêmes passions, les mêmes aspirations que moi. Cela contrastait avec l’ennui que je ressentais au lycée. »

• 2003 – Création de ma maison d’édition

• 2011 – Naissance de ma première fille
« La naissance d’un enfant transforme entièrement votre rapport au temps. Ça reste une étape structurante, un vrai tournant dans ma vie. »

• Une cinquième date ?
« Peut-être qu’elle reste à venir ?»

Vous avez toujours aimé dessiner ?

Absolument. Je crois que ma passion pour le dessin remonte à l’été de mes cinq ans. Ma mère était hospitalisée, et lors des visites quotidiennes de mon père, je faisais un dessin que mon père lui apportait. Je crois que c’est à ce moment que ça a commencé. Par la suite, j’ai continué, monomaniaque. Quand j’ai remporté un concours scolaire national, cela a sans doute conforté mes parents dans l’idée de ne pas s’opposer à mon choix d’études artistiques.

Pourquoi avoir choisi la Bande Dessinée?

Cela a rapidement été une évidence. Mon travail, et celui de ma maison d’édition, accorde une primauté au dessin, au graphisme mais toujours dans le but de raconter des histoires.

Où avez-vous appris la technique du dessin et de la BD ?

Curieusement, pas à l’école. Aux Beaux-Arts, on apprend très peu la technique à proprement parler, à l’exception de quelques cours en deuxième année. J’ai plutôt appris sur le tas, en échangeant avec mes amis, en testant des méthodes, en se donnant des tuyaux les uns les autres, et en suivant des cours de dessin de modèle vivant le soir.
Les Beaux-Arts sont très formateurs sur le plan intellectuel. On cherche à faire de vous un artiste avant tout, on vous forme à être pertinent dans votre façon de penser, même si ça peut être parfois dogmatique. En deuxième année, en me spécialisant sur la section BD, j’ai mobilisé plus de plaisir.

Vous avez créé votre maison d’édition à 23 ans. Aviez-vous une âme entrepreneuriale ?

Pas du tout !
« Entrepreneur », ce n’est pas du tout mon vocabulaire ou mon univers.
D’abord les éditions de la Cerise c’est une association dont je suis bénévole.

À l’époque, j’étais encore étudiant. Nous étions un petit groupe aux Beaux-Arts, avec un style graphique très particulier, et une affinité pour l’absurde et le baroque.
J’avais le sentiment que nous proposions quelque chose de différent.

Mon éducation dans une école Freinet (1) à Pau a certainement joué un rôle, en m’inculquant une appétence pour l’autonomie. A chaque fois que deux voies se présentent à moi, la voie de l’autonomie m’est plus naturelle. Pourtant, je n’y connaissais rien, les premières années ont été assez expérimentales et chaotiques. Mais j’avais l’envie et paradoxalement la confiance en moi pour le faire.

(1) : La pédagogie Freinet, dans le même esprit que Montessori, est fondée sur l’expression libre, sur la confiance et la mise en autonomie des enfants.

Comment répartissez-vous votre temps entre éditeur et dessinateur?

C’est quelque chose qui peut paraître difficile à imaginer pour la plupart des gens, mais je gagne plus ou moins ma vie avec 30% de mon temps (mon travail d’artiste). Le reste de mon temps consacré à la maison d’édition est bénévole. Je continue, j’ai encore plein de projets personnels, mais entre la maison d’édition et la vie de famille, cela laisse peu de temps.

Est-ce pour cela que vous aviez postulé pour la résidence à la villa Médicis (2)?

Oui, pour m’obliger à consacrer du temps à un projet personnel Aquaviva. L’idée de ce livre remonte à mes années d’études, où je réfléchissais à la manière de représenter le monde du futur. Alors que la vision futuriste classique s’imagine souvent dans un fantasme de voyages intersidéraux, il me semblait que nous nous dirigions plutôt vers une atmosphère de fin du monde. J’avais envie de représenter ce que serait le monde si le processus d’expansion de l’humanité va au bout. Que restera-t-il à la fin ?
J’avais initialement envisagé 250 pages, mais ce projet est peu à peu devenu un fardeau pour moi au fil des années. J’avais besoin de ce temps pour me remobiliser et avancer.

(2) : La villa Médicis a une résidence de création en bande-dessinée en partenariat avec la cité de la bande dessinée et de l’image et l’ADAGP. Chaque année, un auteur est sélectionné pour résider deux mois à la villa Médicis de Rome, puis 2 mois à Angoulême à la maison des auteurs de la cité internationale de la BD et de l’image.

Un fardeau ? Comment un projet de livre peut-il devenir un fardeau ?

Parce que je m’enlise dans ce projet depuis des années. Il me demande une énergie colossale. Mon ambition initiale était de réaliser une bande dessinée sans texte, avec un dessin très réaliste, nuancé, tout en étant dynamique et clair. Mais cette approche me demande une concentration et un temps considérables.

Un ami m’a contacté, il y a quelques années, pour une exposition sur les projets « fantômes », ces œuvres laissées à l’abandon. Il avait pensé à Aquaviva, que je n’avais pas touché depuis au moins quatre ans. Mais ressortir les planches des cartons, voir les réactions des gens, m’a donné envie de m’y replonger.
Depuis, j’ai redécoupé, retravaillé, jeté, redessiné, ajouté ici et là des éléments manquants.
(Guillaume ouvre une boîte remplie de dessins, planches, morceaux de papier découpés, vestiges de son travail sur Aquaviva.)
Aujourd’hui, j’en suis au tome 4. Lors de ma résidence à la Villa Médicis, j’ai réussi à réaliser 25 pages, mais terminer ce projet reste une véritable gageure.

Illustrations fournies par Guillaume Trouillard – Planches d' »Aquaviva » de Guillaume Trouillard

Comment fonctionne votre processus créatif, vous avez une histoire en tête ou une envie de dessiner ?

Pour Colibri, par exemple, l’idée est née d’un voyage en Chine. J’étais frappé par la croissance effrénée, ces cités qui semblent pousser à l’infini. Cela m’a hanté, au point de passer des nuits blanches à y réfléchir. Ce projet s’est réalisé rapidement, dans une sorte d’improvisation instinctive, presque free jazz, où je laissais mes idées guider la progression.
En revanche, pour La Saison des flèches, que j’ai coécrit avec mon ami Samuel Stento, c’était tout l’inverse. C’était un projet méticuleusement structuré, entièrement scénarisé et organisé dès le départ.
En fin de compte, il m’est difficile de généraliser. Chaque projet a son propre rythme et son propre point de départ.

Illustration fournie par Guillaume Trouillard. Planche extraite de la BD « La saison des flèches » de Guillaume Trouillard aux éditions de la Cerise.

En tant qu’éditeur comment sélectionnez vous vos auteurs ? Est-ce que la dimension commerciale est un facteur ?

Aux Éditions de la Cerise, nous avons une ligne éditoriale très spécifique, et il est difficile de trouver des auteurs qui s’inscrivent dans cet esprit.
Je ne choisis jamais un projet pour des raisons commerciales, c’est avant tout un choix artistique. Cependant, il faut ensuite savoir valoriser et mettre en avant le projet, car, au final, nous évoluons au sein d’une industrie et il nous faut vendre des livres pour survivre, mais ce n’est ni le moteur ni un facteur de décision.

Quel plaisir avez-vous à rencontrer vos lecteurs ou avoir leur ressenti sur vos œuvres ?

La rencontre avec les lecteurs, leurs réactions lors des salons, des expositions ou en librairie, c’est une des grandes satisfactions de ce métier. C’est amusant aussi de découvrir le profil des lecteurs en fonction des œuvres. Ça peut être très varié : une tranche d’âge 18-25 ans pour un livre, et un public de plus de 50 ans pour un autre.
On a tous des aficionados qui nous suivent fidèlement, mais ce qui est tout aussi intéressant, c’est de rencontrer des lecteurs qui vous découvrent pour la première fois. Voir leurs réactions, entendre leurs impressions, c’est extrêmement enrichissant.

Comment expliquer la suprématie de la France dans la Bande Dessinée?

Le Japon et les mangas, ou les États-Unis avec les Comics, possèdent également des univers de bande dessinée riches et variés, mais il est vrai que la France se distingue par une tradition particulière. C’est difficile à expliquer précisément, mais cela résulte probablement de plusieurs facteurs.

Rodolphe Töpffer, auteur suisse francophone, est souvent considéré comme l’inventeur de la bande dessinée au milieu du XIXᵉ siècle. Plus tard, l’école franco-belge a joué un rôle majeur dans la popularisation de la BD en Europe, avec des œuvres qui sont devenues des références mondiales.

Il est toujours complexe d’identifier pourquoi un pays excelle dans un domaine précis, qu’il s’agisse de la musique, de l’art ou du sport. Cela vient d’un contexte.

Sans cela, on aurait probablement une offre bien plus uniforme, dominée par des grosses enseignes ou des plateformes en ligne, comme c’est le cas dans d’autres pays. Les éditeurs indépendants, en particulier, doivent beaucoup à ce système, puisqu’ils sont principalement distribués dans ces librairies indépendantes.

llustrations fournies par Guillaume Trouillard – Planches issues du magnifique « Welcome, inventaire pour l’enfant qui vient de naître » de Guillaume Trouillard aux éditions de la Cerise. Magnifique idée de cadeau de naissance! (quelques planches un peu décalées pour les plus conservateurs!)

les recos d'Atypical

ses rubriques atypiques

007 in Bordeaux

J’imagine une scène se déroulant dans le vieux Lormont. C’est un lieu chargé d’atmosphère, avec ses rues en pente, son dénivelé prononcé, et cette vue imprenable sur le pont d’Aquitaine. L’ensemble dégage un charme qui pourrait rappeler, à sa manière, San Francisco. On pourrait y imaginer une course effrénée, que ce soit en Coccinelle ou en side-car, dévalant les rues sinueuses, avec le panorama du fleuve en arrière-plan.

Bordeaux en 2050

Je me souviens qu’il y a 20 ans, il m’arrivait de traverser le pont de pierre, seul, certains matins. La densification de la ville s’est accélérée de façon folle, cela pousse de partout mais les axes de circulation ne peuvent pas suivre. Donc Bordeaux 2050, cela sera pire.

Résolutions 2025

Je prends des résolutions chaque année mais je ne les tiens jamais. Donc je vais reprendre celle des années précédentes. Passer mon permis.

C’était mieux avant ….ou pas

Les caves avec des concerts de rock. Il y en avait partout, ça me semblait plus alternatif Bordeaux à l’époque.

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