L’acteur porno philanthrope

Jess Royan

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Jess Royan

Acteur porno, Propriétaire du Sauna libertin "Le Crunch" et très engagé dans la vie associative

Ce matin-là, je pousse la porte d’un sauna gay niché près de Mériadeck « Le Crunch » , bien avant son ouverture officielle à midi. Je ne sais pas vraiment à quoi m’attendre. Je n’ai aucune connaissance du monde du porno, ni des clubs libertins. Je viens avec ma curiosité, et mon ignorance un peu candide. Jess Royan m’y accueille avec un grand sourire. Très vite, la glace est brisée. Jess parle vrai, cru parfois, sans détour, mais toujours avec une sincérité désarmante. Il ne joue aucun rôle — il est juste lui, entier, chaleureux, drôle, et incroyablement ouvert. Il comprend d’emblée d’où je viens, perçoit ma naïveté sans s’en moquer, et m’emmène avec bienveillance dans son univers. Jess incarne à merveille l’esprit d’Atypical : aller à la rencontre de celles et ceux que l’on ne connaît pas, ou que l’on croit connaître à travers des clichés. Depuis le lancement du média en janvier, je le réalise un peu plus à chaque rencontre : derrière chaque étiquette, chaque métier, chaque apparence, il y a une histoire. Et cette histoire est toujours plus complexe, plus humaine, plus touchante que ce qu’on imagine. Pour preuve, Jess Royan est un acteur porno très connu du milieu, il gagne sa vie avec son site et ses milliers de vidéos amateurs. Il est propriétaire du Crunch à Bordeaux, le dernier sauna gay de la ville. Il a dédié son année à des activités philanthropiques et associatives et est en cours de conversion à l’islam.

30 avril 2025 – Sauna Le Crunch, Bordeaux

Si vous deviez vous résumer en cinq dates ?

• 9 novembre 1975 : ma naissance

• 9 novembre 1989 : la chute du mur de Berlin, un événement dont je me souviens très clairement

• 11 septembre 2001 : les attentats de New York, un moment qui m’a profondément marqué

• Septembre 2008 : lancement de mon site Crunchboy

• 1er novembre 2022 : ouverture du Crunch Sauna Gay à Bordeaux

PARCOURS PERSONNEL

Racontez-moi un peu d’où vous venez, votre enfance, votre parcours

Je suis originaire de Blois. Je suis arrivé à Bordeaux à l’âge de 24 ans après avoir été admis dans une école de commerce. J’avais envie de prendre mon indépendance, de m’éloigner du cadre familial pour vivre ma vie à ma manière.

Est-ce que votre coming out a été difficile ou plutôt naturel ?

Je n’ai jamais fait de coming out, tout s’est fait naturellement. J’ai plusieurs vies parallèles : ma vie pers, ma vie d’acteur porno gay et tout l’univers qui gravite autour de cela. Et enfin, ma vie dans le milieu associatif, qui a une grande importance pour moi.
Ces trois mondes ne se croisent pas, et cela me convient parfaitement, mais si cela devait être le cas cela ne me pose pas de problème non plus, car j’assume tout.

LE SAUNA CRUNCH

Depuis quand avez-vous le Crunch ?

Je travaillais depuis quelques années dans un sauna libertin masculin avec mon associé, Juan, lorsque ce sauna a été ravagé par un incendie. À la même période, je fréquentais un autre sauna dont le propriétaire souhaitait se séparer. Juan cherchait un nouveau local, moi j’avais un peu d’argent, alors j’ai acheté l’endroit.
Nous avons créé Le Crunch ensemble. Progressivement, Juan me rachète mes part.

Est-ce qu’il y avait des équivalents à Bordeaux avant, est ce que vous avez répondu à un besoin ?

Quand je suis arrivé à Bordeaux il y a 25 ans, il y avait trois saunas gays et plusieurs bars. Aujourd’hui, il ne reste quasiment plus rien.

Quelles sont les règles au sein du Sauna ?

Les règles sont simples : elles s’inscrivent dans le cadre légal. Il faut être majeur pour entrer, la consommation de drogues est interdite, tout comme les relations tarifées.
À partir de là, chacun est libre, tant que le consentement est mutuel.

Quelle population attirez-vous ?

Le soir, la clientèle est plutôt jeune, autour de 25 ans, tandis que la journée, ce sont des hommes plus âgés, entre 50 et 60 ans.

Hétéro-curieux ?

Ce sont des hommes qui s’interrogent sur leur sexualité, ou encore des hommes en couple avec une femme qui viennent ici pour explorer certains fantasmes, trouver un équilibre personnel.


(Jess me fait alors visiter le sauna et me montre notamment la salle des Glory Holes – de grandes cloisons en bois percées de trous, suffisamment larges pour permettre le passage d’un sexe masculin.)

CINEMA PORNO

Comment avez-vous commencé le cinéma porno ?

Quand j’étais plus jeune, j’étais invisible. On me trouvait moche, on ne me remarquait pas. Je crois que j’ai été transparent jusqu’à mes 24 ans. Personne ne me parlait, personne ne me voyait, et j’en ai énormément souffert, au point de faire une tentative de suicide.

J’ai répondu à des castings, j’ai commencé à faire du sport pour sculpter mon corps, et j’ai fini par décrocher mes premiers rôles.
J’ai débuté dans le porno hétéro, notamment avec Jacquie et Michel. Ce n’était vraiment pas simple pour moi, car les femmes ne m’attiraient pas du tout. Disons-le clairement : je fonctionnais au Viagra.

Pourquoi commencer par le cinéma hétéro alors ?

Parce que déjà, franchir le cap de faire du porno, c’était une grosse étape. Et aller directement vers le porno gay, c’était trop pour moi à ce moment-là.

Tu t’es ensuite lancé dans la production de tes propres vidéos ?

Oui. Pendant un temps, je tournais des vidéos tout en continuant à bosser comme commercial dans l’agroalimentaire. Puis j’ai fini par tout quitter pour me lancer à fond dans la production, avec mon site Crunchboy.

Ça a cartonné, parce que les gens de la communauté reconnaissaient les lieux, les visages, l’atmosphère. Il y avait un vrai sentiment de proximité, et ça a tout de suite pris.

Quelle est la différence entre les sextapes et le porno ?

Aujourd’hui, l’industrie du porno est très largement dominée par l’univers amateur, les sextapes. Le porno dit « traditionnel », avec mise en scène, scénario et production classique, est devenu minoritaire.

Existe-t-il des effets de mode dans les pratiques sexuelles ?

Oui, clairement. Comme dans beaucoup d’univers, il y a des tendances.

Je réalise par exemple régulièrement des vidéos avec des trans boys — des personnes assignées filles à la naissance, mais qui ont transitionné vers une identité masculine, tout en conservant leurs organes génitaux féminins. Et ces vidéos rencontrent un vrai succès. Cela montre bien que les désirs évoluent, que les fantasmes se diversifient.

Que répondez-vous aux gens qui sont très critiques du cinéma porno, de son influence sur les pratiques sexuelles notamment chez les ados ?

Je pense que le porno peut au contraire permettre de découvrir sa sexualité, en particulier pour les jeunes gays qui, souvent, manquent de repères.
C’est peut-être différent pour les hétéros, car, comme je l’ai dit, le porno hétéro est souvent très scénarisé, donc moins réaliste.
Concernant les critiques sur la violence ou l’absence de consentement, je ne me reconnais absolument pas dans ce tableau. Le respect du consentement est fondamental.

Cela n’enlève rien au fait que des abus existent dans certains cas, bien sûr — mais ce n’est pas la norme. En tout cas, ce n’est pas ce que j’ai vécu ni vu.

Combien gagne ton avec le cinéma porno ?


Les femmes, elles, touchent généralement entre 400 et 500 euros par scène, qui dure environ 20 minutes à l’écran, mais peut demander plusieurs heures de tournage.
Du côté du porno gay, les acteurs sont systématiquement rémunérés, entre 130 et 200 euros par scène.

Et toi, comment gagnes-tu ta vie aujourd’hui ?

Je ne tourne presque plus. Avant, je faisais jusqu’à 20 films par mois. Aujourd’hui, je ne tourne que 2 ou 3 scènes par an, uniquement quand le sujet ou le partenaire m’intéresse vraiment. Par exemple, les scènes avec des trans boys m’attirent davantage, car elles sortent du cadre classique des vidéos « sexe sous la douche ». C’est plus rare, plus original.


Cela rapporte environ 10 000 à 15 000 euros par mois en royalties (attention je parle en chiffre d’affaires, à ne pas confondre avec bénéfice !).

MONDE ASSOCIATIF ET CONVERSION A L’ISLAM

Vous êtes très engagés dans le monde associatif, Comment cela a-t-il commencé ?

Depuis toujours, je suis sensible à la souffrance des autres. Enfant déjà, j’avais ce besoin d’aider, de me sentir utile.

Dans quelles associations êtes-vous impliqué aujourd’hui ?


Je donne des cours de français à des mineurs non accompagnés, je suis visiteur de prison dans les maisons d’arrêt de Gradignan et Bédenac, j’anime des ateliers en EHPAD, je participe à des maraudes sanitaires rue Sainte-Catherine grâce à mon brevet de secourisme.
Je suis aussi bénévole chez SOS Suicide, je rends visite à des enfants hospitalisés et j’aide les Restos du Cœur, à l’accueil des bénéficiaires comme au déchargement des colis.

Qu’est-ce que tous ces engagements vous apportent ?

J’ai eu beaucoup de chance dans la vie. Je n’ai connu ni grands drames, ni précarité, ni maladies graves. J’ai ressenti à un moment le besoin de dire merci. Je ne sais pas si Dieu existe, mais j’ai eu envie de rendre, de transmettre.
Et puis il y a les émotions. Des émotions très fortes, j’ai ressenti le besoin de me confronter à ces émotions. Cette semaine, par exemple, j’ai rendu visite à un garçon de 16 ans gravement malade à l’hôpital. C’est bouleversant.

Vous êtes en voie de conversion à l’islam. Comment en êtes-vous arrivé là ?

J’ai rencontré des personnes qui m’ont bousculé dans mes certitudes. Un jour, une connaissance qui savait mes engagements associatifs m’a invité aux cours du soir que son père, imam progressiste donnait à la mosquée. J’y suis allé par curiosité. Ça a été une forme de révélation. Depuis, j’y retourne régulièrement, et cela m’apporte beaucoup de sérénité.
J’ai commencé à apprendre l’arabe il y a sept mois, et je poursuis depuis ce chemin vers la conversion.

VIE PERSO

Et votre vie amoureuse dans tout cela ?

les recos d'Atypical

ses rubriques atypiques

007 in Bordeaux

J’imagine bien une scène dans le quartier Saint-Pierre, sur la place du Parlement, que j’adore. Avec son ambiance, ses pavés, ses terrasses… parfait pour une course-poursuite à la James Bond !

Bordeaux en 2050

J’espère que la qualité de vie restera intacte. Qu’on aura toujours ces façades en pierre blonde, cette lumière si particulière. Les bobos auront peut-être disparu, et on vivra dans une ville plus métissée, plus diverse, plus ouverte.

Missing in Bordeaux

Un téléphérique pour relier la rive droite à la ville centre, vers Cenon ou Lormont. Et pourquoi pas un TER direct pour aller au Porge ?

C’était mieux avant ….ou pas

Franchement, non. C’est mieux maintenant. Bordeaux ne cesse de s’améliorer.

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