30 avril 2025 – Sauna Le Crunch, Bordeaux
Si vous deviez vous résumer en cinq dates ?
• 9 novembre 1975 : ma naissance
• 9 novembre 1989 : la chute du mur de Berlin, un événement dont je me souviens très clairement
• 11 septembre 2001 : les attentats de New York, un moment qui m’a profondément marqué
• Septembre 2008 : lancement de mon site Crunchboy
• 1er novembre 2022 : ouverture du Crunch Sauna Gay à Bordeaux
PARCOURS PERSONNEL
Racontez-moi un peu d’où vous venez, votre enfance, votre parcours
Je suis originaire de Blois. Je suis arrivé à Bordeaux à l’âge de 24 ans après avoir été admis dans une école de commerce. J’avais envie de prendre mon indépendance, de m’éloigner du cadre familial pour vivre ma vie à ma manière.
Est-ce que votre coming out a été difficile ou plutôt naturel ?
Je n’ai jamais fait de coming out, tout s’est fait naturellement. J’ai plusieurs vies parallèles : ma vie pers, ma vie d’acteur porno gay et tout l’univers qui gravite autour de cela. Et enfin, ma vie dans le milieu associatif, qui a une grande importance pour moi.
Ces trois mondes ne se croisent pas, et cela me convient parfaitement, mais si cela devait être le cas cela ne me pose pas de problème non plus, car j’assume tout.
LE SAUNA CRUNCH
Depuis quand avez-vous le Crunch ?
Je travaillais depuis quelques années dans un sauna libertin masculin avec mon associé, Juan, lorsque ce sauna a été ravagé par un incendie. À la même période, je fréquentais un autre sauna dont le propriétaire souhaitait se séparer. Juan cherchait un nouveau local, moi j’avais un peu d’argent, alors j’ai acheté l’endroit.
Nous avons créé Le Crunch ensemble. Progressivement, Juan me rachète mes part.
Etre patron d’un sauna ne m’intéresse pas particulièrement. Il y a trop de règles de contraintes, j’aime mieux être plus libre !
Est-ce qu’il y avait des équivalents à Bordeaux avant, est ce que vous avez répondu à un besoin ?
Quand je suis arrivé à Bordeaux il y a 25 ans, il y avait trois saunas gays et plusieurs bars. Aujourd’hui, il ne reste quasiment plus rien.
Le Crunch est actuellement le seul sauna gay de la ville, donc oui, il répond clairement à un besoin.
Sinon, les lieux de rencontre sont souvent des espaces publics connus de la communauté gay, mais ce type d’endroits n’offre ni le confort, ni la sécurité, ni l’intimité que recherchent certaines personnes. Le Crunch permet de se rencontrer dans un cadre plus agréable, sécurisé, avec une forme d’anonymat aussi.

Quelles sont les règles au sein du Sauna ?
Les règles sont simples : elles s’inscrivent dans le cadre légal. Il faut être majeur pour entrer, la consommation de drogues est interdite, tout comme les relations tarifées.
À partir de là, chacun est libre, tant que le consentement est mutuel.
Nous avons aménagé des chambres au sous-sol pour les relations sexuelles. À l’étage, en revanche, nous tenons à ce que l’ambiance soit plus neutre, pour que tout le monde se sente à l’aise, y compris nos barmen qui n’ont pas forcément envie d’être exposés à des scènes sexuelles en travaillant.
Quelle population attirez-vous ?
Je dirais qu’on accueille environ 50 % de gays, 30 % de bisexuels et 20 % de ce que j’appelle les hétéro-curieux.
Le soir, la clientèle est plutôt jeune, autour de 25 ans, tandis que la journée, ce sont des hommes plus âgés, entre 50 et 60 ans.
Hétéro-curieux ?
Ce sont des hommes qui s’interrogent sur leur sexualité, ou encore des hommes en couple avec une femme qui viennent ici pour explorer certains fantasmes, trouver un équilibre personnel.
(Jess me fait alors visiter le sauna et me montre notamment la salle des Glory Holes – de grandes cloisons en bois percées de trous, suffisamment larges pour permettre le passage d’un sexe masculin.)
Les Glory Holes, dans cette salle sombre, permettent à des hommes d’avoir des relations orales sans voir ni être vus par l’autre personne. Ce type de dispositif plaît particulièrement aux hétéro-curieux, car il permet une forme de distance, d’anonymat, qui les rassure.


CINEMA PORNO
Comment avez-vous commencé le cinéma porno ?
Quand j’étais plus jeune, j’étais invisible. On me trouvait moche, on ne me remarquait pas. Je crois que j’ai été transparent jusqu’à mes 24 ans. Personne ne me parlait, personne ne me voyait, et j’en ai énormément souffert, au point de faire une tentative de suicide.
Suite à ça, j’ai consulté un psy qui m’a conseillé de pratiquer des activités pouvant m’aider à me réconcilier avec mon corps, à regagner de l’estime de moi.
C’est peut-être étrange, mais on me disait souvent que j’étais moche… sauf que j’avais un gros sexe. C’est à partir de là que j’ai commencé à envisager le porno.
J’ai répondu à des castings, j’ai commencé à faire du sport pour sculpter mon corps, et j’ai fini par décrocher mes premiers rôles.
J’ai débuté dans le porno hétéro, notamment avec Jacquie et Michel. Ce n’était vraiment pas simple pour moi, car les femmes ne m’attiraient pas du tout. Disons-le clairement : je fonctionnais au Viagra.
Pourquoi commencer par le cinéma hétéro alors ?
Parce que déjà, franchir le cap de faire du porno, c’était une grosse étape. Et aller directement vers le porno gay, c’était trop pour moi à ce moment-là.
Je pensais naïvement que le porno hétéro serait « moins pire » si jamais quelqu’un me reconnaissait. Je me disais que ce serait plus facile à justifier, ou à cacher.
Tu t’es ensuite lancé dans la production de tes propres vidéos ?
Oui. Pendant un temps, je tournais des vidéos tout en continuant à bosser comme commercial dans l’agroalimentaire. Puis j’ai fini par tout quitter pour me lancer à fond dans la production, avec mon site Crunchboy.
J’ai repris le concept de Jacquie et Michel, mais en l’adaptant à l’univers gay : je filmais dans différentes villes de France, dans des lieux emblématiques de la scène gay locale, avec des acteurs du coin.
Ça a cartonné, parce que les gens de la communauté reconnaissaient les lieux, les visages, l’atmosphère. Il y avait un vrai sentiment de proximité, et ça a tout de suite pris.
Quelle est la différence entre les sextapes et le porno ?
Aujourd’hui, l’industrie du porno est très largement dominée par l’univers amateur, les sextapes. Le porno dit « traditionnel », avec mise en scène, scénario et production classique, est devenu minoritaire.
Ce qui plaît dans les sextapes, c’est ce sentiment d’authenticité, de spontanéité — surtout dans le porno gay. C’est souvent brut, peu scénarisé, plus proche de la réalité. C’est exactement ce que recherche une grande partie du public : quelque chose de vrai, sans surjeu.
À l’inverse, le porno hétéro reste très scénarisé, plus théâtral, parfois même caricatural.
Existe-t-il des effets de mode dans les pratiques sexuelles ?
Oui, clairement. Comme dans beaucoup d’univers, il y a des tendances.
En ce moment, on observe une forte demande autour du sexe en extérieur, dans des lieux publics, le fétichisme, le BDSM… et aussi autour des personnes trans.
Je réalise par exemple régulièrement des vidéos avec des trans boys — des personnes assignées filles à la naissance, mais qui ont transitionné vers une identité masculine, tout en conservant leurs organes génitaux féminins. Et ces vidéos rencontrent un vrai succès. Cela montre bien que les désirs évoluent, que les fantasmes se diversifient.
Que répondez-vous aux gens qui sont très critiques du cinéma porno, de son influence sur les pratiques sexuelles notamment chez les ados ?
Je pense que le porno peut au contraire permettre de découvrir sa sexualité, en particulier pour les jeunes gays qui, souvent, manquent de repères.
C’est peut-être différent pour les hétéros, car, comme je l’ai dit, le porno hétéro est souvent très scénarisé, donc moins réaliste.
Concernant les critiques sur la violence ou l’absence de consentement, je ne me reconnais absolument pas dans ce tableau. Le respect du consentement est fondamental.
Dans tous les tournages auxquels j’ai participé ou que j’ai organisés, on discute toujours en amont avec les acteurs et actrices : ce qu’ils acceptent de faire, ce qu’ils refusent. Rien n’est imposé.
Par exemple, certaines pratiques comme le sexe anal pour les filles peuvent être plus délicates, mais cela ne se fait jamais sans accord clair.
Je sais que certaines femmes dénoncent aujourd’hui des abus, mais il m’arrive de penser que certaines le font aussi parce qu’elles ont du mal à assumer leur passé dans le porno. On ne fait pas ce métier par hasard : il faut en avoir envie, être à l’aise avec son corps et son désir, ce sont souvent des filles coquines qui aimaient ça et ne l’assument plus en vieillissant, donc cela leur est plus simple de se faire passer pour des victimes.
Cela n’enlève rien au fait que des abus existent dans certains cas, bien sûr — mais ce n’est pas la norme. En tout cas, ce n’est pas ce que j’ai vécu ni vu.
Combien gagne ton avec le cinéma porno ?
Dans le porno amateur hétéro, les hommes sont très rarement rémunérés, il y a énormément de candidats prêts à le faire gratuitement. La base du paiement, ce sont les droits à l’image. Or, beaucoup d’hommes participent à ces tournages de manière anonyme, visage masqué ou flouté, et donc sans contrat ni rétribution. Ils le font souvent « pour le fun », sans chercher à être payés.
Les femmes, elles, touchent généralement entre 400 et 500 euros par scène, qui dure environ 20 minutes à l’écran, mais peut demander plusieurs heures de tournage.
Du côté du porno gay, les acteurs sont systématiquement rémunérés, entre 130 et 200 euros par scène.
Et toi, comment gagnes-tu ta vie aujourd’hui ?
Je ne tourne presque plus. Avant, je faisais jusqu’à 20 films par mois. Aujourd’hui, je ne tourne que 2 ou 3 scènes par an, uniquement quand le sujet ou le partenaire m’intéresse vraiment. Par exemple, les scènes avec des trans boys m’attirent davantage, car elles sortent du cadre classique des vidéos « sexe sous la douche ». C’est plus rare, plus original.
Je vis maintenant grâce aux droits générés par les milliers de vidéos que j’ai produites au fil des 20 dernières années. Elles sont disponibles sur mon site, en accès payant (39 € par mois), mais aussi sur plusieurs plateformes.
Cela rapporte environ 10 000 à 15 000 euros par mois en royalties (attention je parle en chiffre d’affaires, à ne pas confondre avec bénéfice !).
MONDE ASSOCIATIF ET CONVERSION A L’ISLAM
Vous êtes très engagés dans le monde associatif, Comment cela a-t-il commencé ?
Depuis toujours, je suis sensible à la souffrance des autres. Enfant déjà, j’avais ce besoin d’aider, de me sentir utile.
Chaque début d’année, je prends une résolution et je m’y tiens. En décembre 2023, j’ai décidé de consacrer l’année suivante à des engagements associatifs, en choisissant volontairement des domaines qui me mettaient mal à l’aise : la pauvreté, la vieillesse, la maladie, la prison. Je voulais me confronter à mes peurs, à ce que je ne comprenais pas. C’est comme ça que tout a commencé.
Dans quelles associations êtes-vous impliqué aujourd’hui ?
C’est devenu mon quotidien. Je consacre environ trois heures par jour à la gestion de mon site — et poster les vidéos. Le reste du temps, je le dédie entièrement au bénévolat.
Je donne des cours de français à des mineurs non accompagnés, je suis visiteur de prison dans les maisons d’arrêt de Gradignan et Bédenac, j’anime des ateliers en EHPAD, je participe à des maraudes sanitaires rue Sainte-Catherine grâce à mon brevet de secourisme.
Je suis aussi bénévole chez SOS Suicide, je rends visite à des enfants hospitalisés et j’aide les Restos du Cœur, à l’accueil des bénéficiaires comme au déchargement des colis.
Qu’est-ce que tous ces engagements vous apportent ?
J’ai eu beaucoup de chance dans la vie. Je n’ai connu ni grands drames, ni précarité, ni maladies graves. J’ai ressenti à un moment le besoin de dire merci. Je ne sais pas si Dieu existe, mais j’ai eu envie de rendre, de transmettre.
Et puis il y a les émotions. Des émotions très fortes, j’ai ressenti le besoin de me confronter à ces émotions. Cette semaine, par exemple, j’ai rendu visite à un garçon de 16 ans gravement malade à l’hôpital. C’est bouleversant.
Vous êtes en voie de conversion à l’islam. Comment en êtes-vous arrivé là ?
C’est un cheminement personnel, profond. J’ai longtemps eu des à priori et un blocage avec l’islam. Cependant j’ai toujours ressenti une forme de fascination pour la culture arabe quand je voyageais à l’étranger, et en même temps beaucoup d’agacement envers les Arabes en France. J’avais été victime de moqueries ou d’agressions à caractère anti-français, ce qui m’avait nourri de préjugés.
Et puis j’ai changé.
J’ai rencontré des personnes qui m’ont bousculé dans mes certitudes. Un jour, une connaissance qui savait mes engagements associatifs m’a invité aux cours du soir que son père, imam progressiste donnait à la mosquée. J’y suis allé par curiosité. Ça a été une forme de révélation. Depuis, j’y retourne régulièrement, et cela m’apporte beaucoup de sérénité.
J’ai commencé à apprendre l’arabe il y a sept mois, et je poursuis depuis ce chemin vers la conversion.
VIE PERSO
Et votre vie amoureuse dans tout cela ?
Je n’ai jamais été en couple, et je ne ressens pas le besoin de l’être. Je suis un solitaire. Je fais des rencontres, je vais dans des clubs ou des saunas, parfois dans d’autres villes, une fois par semaine environ. Mais l’idée du couple, de la vie à deux, ne m’attire pas. Ce n’est pas quelque chose que je recherche pour l’instant en tous les cas.
