09 avril 2025 – Goodlock Escape, Bordeaux
Si vous deviez vous résumer en cinq dates ?
• Mai 2014 : Je découvre l’univers des escape games en participant à ma toute première session dans la salle Prizoners à Beaubourg, à Paris.
• 11 septembre 2017 : Inauguration de Goodlock à Bordeaux et accueil du tout premier groupe de joueurs.
• 16 juillet 2020 : Naissance de ma fille.
• Septembre 2009 : Je fonde une radio étudiante pendant mes études en école de commerce à Grenoble.
• 1er décembre 2025 : Parution attendue de mon premier Escape Book.
La création de Goodlock Escape Game en 2017 : comment l’idée est-elle née ?
Je viens d’une famille d’enseignants. Après une classe préparatoire littéraire, j’ai intégré une école de commerce, puis j’ai commencé ma carrière dans un poste plutôt classique. En 2014, je découvre l’escape game lors d’une première expérience à Paris. Le concept me séduit immédiatement. À partir de là, l’idée fait son chemin : je veux lancer ma propre enseigne. Je me mets alors à chercher une ville à la fois dynamique, accueillante et offrant un potentiel de développement. Bordeaux s’impose comme une évidence : peu d’infrastructures dans ce domaine à l’époque, mais une belle marge de croissance. C’était aussi une ville où on se voyait vivre avec ma compagne qui a créé l’escape game avec moi.
Quelles ont été les principales difficultés dans la création d’un escape game ?
Le financement a été un vrai parcours du combattant. Pour démarrer, j’avais besoin de 200 000 euros. J’ai sollicité des dizaines de banques, mais le concept leur était inconnu à l’époque, elles avaient du mal à se projeter. Il existait déjà six escape games à Bordeaux, ce qui leur paraissait être un marché saturé (aujourd’hui, il y en a quinze !).
Finalement, j’ai pu obtenir un prêt auprès d’une banque qui avait déjà accompagné un projet similaire et comprenait donc les enjeux et les perspectives du secteur. Même pour prendre une assurance, cela restait à l’époque un challenge. Les assureurs ont mis un temps fou avant de créer une catégorie « escape game ».
Comment avez-vous réfléchi aux thématiques des salles ?
La partie créative, c’est vraiment ce qu’il y a de plus stimulant ! Concevoir un thème, inventer tout un univers, c’est l’un des aspects les plus passionnants de ce métier.
Ce que je trouve particulièrement intéressant dans un escape game, c’est la capacité à transmettre des émotions. La peur, par exemple, fonctionne très bien auprès du public. C’est d’ailleurs sur cette thématique que j’ai décidé de débuter le projet. La première salle qu’on a créé s’intitulait Les 7 péchés capitaux. On a imaginé un univers très immersif, avec notamment l’idée d’un confessionnal, dans une ambiance à mi-chemin entre l’asile psychiatrique et le thriller psychologique.
Pour la deuxième salle, j’ai voulu prendre le contre-pied total : miser sur le rire et la légèreté. J’ai imaginé une ambiance de fin de soirée déjantée, dans l’esprit du film Very Bad Trip. La salle s’appelle « Ticket Gagnant » et plonge les joueurs dans l’univers d’un bar PMU. Là encore, l’immersion est totale et l’interaction très forte. Beaucoup de participants nous confient avoir eu l’impression d’avoir passé des heures dans ce décor, alors que le jeu ne dure qu’une heure — c’est dire à quel point l’immersion fonctionne !
Ça coûte cher de créer une salle d’escape game avec les décors ?
Il faut compter environ 1 000 euros du mètre carré pour aménager et décorer une salle. Pour « Ticket Gagnant », j’ai eu beaucoup de chance : j’ai rencontré un monsieur qui revendait tout le mobilier et les accessoires de son ancien bar PMU. Cela nous a permis de recréer un décor ultra-réaliste, sans exploser le budget.
En revanche, notre troisième salle, qui propose une ambiance de mafia italienne, est installée sur une surface de 100 m² — ce qui représente un investissement bien plus conséquent. Elle a été pensée pour proposer une expérience un peu plus neutre sur le plan émotionnel, mieux adaptée aux familles ou aux entreprises dans le cadre de team building. Là encore, le décor joue un rôle essentiel : dès qu’on entre, on est plongé dans l’univers.

Comment vous assurez-vous qu’une partie soit gagnable ? Que toutes les énigmes puissent être résolues en une heure ?
On s’appuie sur une règle de base : un rythme moyen d’une énigme toutes les 4 minutes, soit 15 énigmes pour une session d’une heure. Cela donne un premier cadre, mais ça ne suffit pas à garantir une expérience réussie ou équilibrée.
Pour moi, il y a deux leviers essentiels pour que le joueur aille le plus loin possible :
• Maintenir l’engagement du joueur du début à la fin, parce qu’on ne peut pas résoudre les énigmes à sa place. Cela passe par une variété dans l’expérience afin d’éviter la redondance. Pour cela, on module le niveau de difficulté (des énigmes accessibles en début et fin de partie, plus difficile au milieu), mais aussi la nature des épreuves (manipulation, logique, coopération…). Cette progression est pensée pour stimuler sans frustrer.
• Être précis dans le game mastering. Le rôle du maître du jeu (game master) est souvent sous-estimé : chaque mot, chaque intonation a un impact sur l’interprétation du joueur. Avec l’expérience, on apprend à identifier quel type d’indice aidera le joueur à progresser, sans lui donner la réponse ni le bloquer davantage. C’est un dosage subtil, mais fondamental.
Au final, ce qui fait un bon escape game, c’est un équilibre entre plusieurs ingrédients :
• un pitch accrocheur, qui embarque les joueurs dès les premières secondes,
• une variété d’énigmes stimulantes mais justes,
• un game mastering précis et impliqué,
• une immersion forte, via le décor, le son, la mise en scène, le maître du jeu.
• et surtout, une émotion globale qui rend l’expérience mémorable.
C’est ce cocktail-là qui fait que les joueurs ressortent heureux — parfois même bluffés — par l’aventure qu’ils viennent de vivre.
Justement, les technologies prennent de plus en plus de place dans les escape games. Comment avez-vous vu cette évolution ?
C’est une partie que je trouve très chouette.
On se fait accompagner par des entreprises spécialisées dans les mécanismes électroniques : capteurs de couleurs, systèmes d’ouverture automatique de portes, reconnaissance d’objets… À partir de ces outils, on imagine des énigmes adaptées à l’univers qu’on veut raconter.
(Miguel me montre une astuce – que je ne dévoilerais pas ici pour ne pas spoiler les joueurs – mais comment à partir d’un mécanisme de reconnaissance des couleurs il a créé une énigme dans la salle PMU de son escape « Ticket gagnant »).

Quel est le profil des personnes qui animent vos escape games ?
Le rôle de l’animateur est central. On a toujours un seul maître du jeu par session, et son rôle est fondamental : il guide les joueurs, les aide à débloquer certaines situations, s’assure que tout le monde passe un bon moment. Il contribue activement à l’immersion, sans jamais être intrusif.
On recrute souvent des acteurs en devenir, des jeunes avec un bon sens du second degré. L’idée, c’est de faire vivre une expérience, mais aussi de s’amuser ! Personnellement, je trouve ça un peu oppressant quand l’animateur est tellement dans son rôle qu’on ne sait plus comment se comporter. Je préfère une posture plus souple, plus complice.
Et puis j’aime bien les profils qui ont de l’audace : certains viennent carrément frapper à la porte pour déposer leur CV. J’adore cette énergie, ce côté « je veux ce job et je viens le chercher ».
Est-ce que vous gagnez bien votre vie avec Goodlock Escape ?
Oui, aujourd’hui je gagne bien ma vie grâce à Goodlock, avec nos trois salles à Bordeaux. Et surtout, ce modèle me laisse du temps pour réfléchir à d’autres projets, imaginer de nouveaux concepts.
Quels sont les nouveaux concepts auxquels vous réfléchissez ?
En ce moment, je travaille sur un projet qui me tient à cœur : l’écriture d’un livre escape game. J’ai signé avec un éditeur et les délais sont assez serrés pour une sortie prévue cet hiver. Ce sera un calendrier de l’Avent interactif, avec une énigme par jour jusqu’à Noël. Toute la trame est déjà dans ma tête, je suis maintenant dans la phase de finalisation et rédaction.
En parallèle, je donne également des cours à l’université, dans un master qui aborde la narration et la manière de raconter une histoire sous forme d’escape game. C’est un exercice passionnant, très formateur aussi pour moi.
Et puis je suis en veille constante. Je m’intéresse de plus en plus aux serious games : l’idée d’utiliser les mécaniques de l’escape game pour sensibiliser, faire réfléchir ou accompagner le changement sur des sujets de fond. Par exemple, La Fresque du Climat est une démarche que je trouve pertinente sur le fond, mais qui passe à côté de quelque chose d’un point de vue strictement ludique. C’est un serious game qui gagnerait à développer l’aspect « game » afin de le mettre au même niveau que sa facette « serious ». Il y a un vrai potentiel à exploiter pour rendre ces formats plus engageants, plus dynamique, sans perdre leur dimension pédagogique.